Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


lundi 13 juillet 2009

Des nouvelles de Jean-Luc Godard



• 13 juillet 2009. — Nous faisons remonter le précédent message en une, car nous venons de trouver, grâce à l'indication d'un internaute, d'autres informations sur l'activité de notre cinéaste. En effet, dans La République des Livres, qui nous fait l'honneur de citer notre dossier, Godard et la question juive, Pierre Assouline donne, en date du 8 juin 2009, le lien du The Hollywood reporter, sur la prochaine adaptation des Disparus de Daniel Mendelsohn par le cinéaste; signale au passage la monumentale biographie, largement discutée aux États-Unis, Everything is cinema. The working life of Jean-Luc Godard, écrite par Richard Brody, dont nous attendons avec impatience la traduction française, annoncée aux Presses de la Cité; rappelle un lien vers les Inrockuptibles pour une longue interview du cinéaste du 21 octobre 1998, dont nous avions donné des extraits dans notre dossier. Mais sur notre sujet, Pierre Assouline mène surtout un petit entretien avec Daniel Mendelsohn, qui donne sa vérité sur le projet du cinéaste, apparemment fort sérieux, d'adapter son roman, Les disparus. Nous reproduisons ci-dessous ces quelques lignes:

La République des Livres: Comment ça s’est passé?
Daniel Mendelsohn: Jean-Luc Godard a exprimé son intérêt pour mon livre il y a quelque dix-huit mois déjà auprès de Teresa Cremisi, directrice de Flammarion. Nous avons lui et moi échangé des faxs jusqu’à ce que nous nous rencontrions trois heures durant en octobre dernier à Paris dans l’appartement de mon ami Bob Gottlieb. À la manière dont il en parlait, j’ai tout de suite compris qu’il avait beaucoup apprécié le livre.

La République des livres: Qu’est-ce qui le motive selon vous dans ce projet?
Daniel Mendelsohn: L’enquête avant tout, le côté roman policier, le rapport entre les frères et les extraits de commentaires de la Bible. On a parlé de tout ça. Après, c’est parti entre les mains des agents et producteurs.

RDL: L’ampleur de votre livre, et sa dimension internationale, appellent pourtant des moyens et une conception sans aucune mesure avec le genre de films que réalise Godard depuis des années…
DM: Je suis frappé par le fait que dans ses films, il examine les moyens de faire un film. Or dans mon livre aussi, je m’interroge sur la possibilité de la représentation.

RDL: Avez-vous lu l’importante biographie que Richard Brody lui a consacrée?
DM: Richard est un ami de mon frère depuis trente-cinq ans. J’ai lu son livre. Je savais depuis très longtemps qu’il écrivait cet immense livre sur Godard, bien avant que Godard ne soit entré dans ma vie. Une coïncidence qui m’a beaucoup plu car, comme vous le savez, mon livre est, entre autres choses, une histoire de coïncidences bizarres…

RDL: Si je vous pose la question, c’est que cette biographie révèle avec précision l’antisémitisme de Godard, ce qui rend son projet de film assez surprenant…
DM: Je ne connais Godard que par ses films. Il m’a parlé de mon livre comme seul en est capable quelqu’un qui l’a parfaitement lu. On a évoqué la possibilité que je collabore au script mais ça ne m’intéresse absolument pas. J’ai été rassuré d’apprendre que le scénariste israélien Oren Moverman avait finalement été choisi car j’ai beaucoup apprécié l’idée de fragmentation qu’il avait faite sienne dans l’écriture de son script sur le film sur Bob Dylan I’m not there. Vraiment, j’ai confiance. Vous savez, j’ai vu l’exemplaire de mon livre appartenant à Godard. Chaque page est annotée, il y a des post-it partout, il l’a vraiment épluché. Je crois que son côté talmudique lui a plu. Au fond, il l’a lu comme un rabbin! Et pour moi, en tant qu’auteur de ce livre, ça suffit.

À lire ces déclarations de Daniel Mendelsohn, nous sommes vraiment heureux d'avoir écrit notre petite étude, Filmer après Auschwitz, dont le sens principal est qu'il ne faut surtout pas céder aux apparences sur la difficile question des rapports que Jean-Luc Godard entretient avec les juifs. Avec Daniel Mendelsohn, nous avons envie d'écrire aussi: «Vraiment, j'ai confiance.»

• 20 juin 2009. — Laissons-nous, pour l'occasion, aller aux plaisirs du scoop et de la rumeur, puisque le plus moderne des cinéastes vivants nous promet deux nouveaux films. Avec l'aide d'Alain Badiou — certes pas le plus moderne des philosophes mais qui, depuis quelque temps, fait dans tous les médias et maintenant au cinéma un fort étrange retour, dont nous tentons en vain de nous expliquer exactement l'intensité, mais que, va savoir pourquoi, nous pressentons comme un peu inquiétant tout de même (1) —, Jean-Luc Godard finit le montage de son film Film Socialisme, pour une sortie en 2010. Comme d'habitude, la bande-annonce [N.B. Elle a changé depuis, cf. le site officiel du film], déjà disponible, n'est pas spécialement là pour inciter à courir voir son film. Plus immédiatement suggestive, trop peut-être, la devise du film: «Ce qui change aujourd'hui c'est que les salauds sont sincères»? Le matois ne nous découragera pas, tant nous savons que, avec lui, les fruits passent toujours la promesse des fleurs.

L'autre annonce serait que Jean-Luc Godard préparerait un film autour du célèbre livre de Daniel Mendelsohn, Les Disparus. Ce serait une formidable nouvelle: tous ceux qui, malgré les évidentes difficultés du cinéaste à se situer dans les tours et détours de la question juive, auront toujours estimé que l'accuser d'antisémitisme était plutôt rapide et superficiel (voir notre dossier sur le sujet), sont vraiment impatients de le voir aborder ainsi frontalement la question de l'extermination (ce que d'autres appellent à présent Shoah, ou, pire, «holocauste»), au lieu de ses quelques déclarations, confuses et fuyantes, ou, dans ses films, le biais palestinien.

La vérité, c'est que trop de gens qui, depuis À bout de souffle, Le Mépris, ou Pierrot le fou, n'ont jamais vu un seul de ses plus de cent autres films (dont presque autant de merveilles), continuent à faire semblant de le connaître ou le reconnaître à travers ses seules esquives et pitreries en forme de bons mots ou de soi-disant réparties et à quoi ils réduisent un discours qu'ils tiennent pour de brillantes analyses, c'est-à-dire là où le lyrique poète d'images et de sons est le plus hors de lui-même, vraiment en porte-à-faux.

1. À vrai dire, le livre de Danny Trom, La promesse et l'obstacle (La gauche radicale et le problème juif), éditions du Cerf 2007, nous aide tout de même à préciser nos intuitions.

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La question juive de Jean-Luc Godard
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© Photogramme: Socialisme, Jean-Luc Godard. Vega film, 2009 (cliquer sur l'image pour l'agrandir).