Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


mercredi 10 décembre 2008

Rama Yade, la demoiselle d'honneur


La secrétaire d'État aux Droits de l'Homme, Rama Yade, a souvent montré qu'elle était d'abord une femme de conviction
(1). Mais ceux qui l'y ont nommée espéraient capter ces valeurs personnelles au service de leur concert carriériste. Quand le Président lui proposa de diriger la liste UMP aux élections européennes. Rama Yade a décliné l'offre en ces termes:

Je ne veux pas être dans une situation où je trouve ce mandat prématuré, et que je ne donne pas le meilleur de moi-même et donc que je déçoive. Donc, je ne suis pas candidate à un mandat européen, [...] un mandat européen ne me permet pas de donner ce que j'ai dans le ventre, au mieux de moi-même, ce qui n'exclut pas que je puisse faire campagne pour cette échéance. [...] Je veux aller où je suis utile. Je ne veux pas être là juste pour occuper une fonction. [...] Je suis très honorée de cette proposition, mais je suis davantage motivée par un mandat national que par un mandat européen: c'est comme si vous vouliez me marier de force avec le Prince Albert! [Ajoutant, à l'intention de ceux qui lui reprochaient de n'avoir encore aucun mandat électif, que des élections arrivent,] d'ici 2012 et en 2012 même, et qui me donneront l'occasion sans doute de faire quelque chose. [...] Je voudrais que le Président de la République puisse trouver de l'utilité dans ce que je fais, dans les engagements que je prends et je ne veux pas me trouver dans une situation qui ne me permette pas de donner le meilleur.

Du coup, l'hôte de l'Élysée fait savoir par son entourage sa déception face à cette jeune femme qui gâche si bien sa carrière, plus prometteuse selon lui au Parlement européen qu'à l'éventuel Palais-Bourbon. "Cela prouve qu'elle n'a pas de sens politique", rapporte ceux qui ont l'oreille au palais présidentiel. Quand Rama Yade ne voulait pas "décevoir", elle pensait d'abord à d'autres, plutôt qu'au Président. Là est le malentendu. Et sur le mot même: politique.

Voilà que, dans l'empressement à ne pas décevoir son maître, le Ministre des Affaires Étrangères surenchérit, en érigeant leurs mesquins désaveux en position de principe: "
Je pense que j'ai eu tort de demander un Secrétariat d'État aux Droits de l'Homme. C'est une erreur".
Prétendant ménager les personnes — souci premier au quotidien de ces chefs — il ajoute qu'il parle "de la structure, pas des personnalités" c'est-à-dire pas de Rama Yade "qui a fait, avec talent, ce qu'elle a pu." Le médecin, qui connaît son passé composé, conjugue ensuite un présent plus insultant encore — il faut de ses yeux le lire pour y croire — à l'adresse tout à fait personnelle cette fois de sa Secrétaire, pour décider de ce qui n'est même pas de son ressort et en se dispensant du formel aval de son transparent Premier Ministre: "Il est important que Rama Yade s'occupe avec passion des droits des enfants et de ceux des femmes, notamment en matière de violences sexuelles". Le secouriste volant confirme ici qu'il ne faut surtout ni grâce ni "passion" pour être homme politique. Ni même de "ventre": c'est vraiment une affaire d'hommes. Sauf qu'il conclut par ce magnifique lapsus: "Il ne faut pas de titre pour être efficace".
Enfin, présent et futur, l'efficace Ministre en titre retourne à sa grande affaire, tout à fait intérieure: "Il y a contradiction permanente entre les Droits de l'Homme et la politique étrangère d'un État, même en France. Cette contradiction peut être féconde, mais fallait-il lui donner un caractère gouvernemental en créant ce Secrétariat d'État? Je ne le crois plus et c'est une erreur de ma part de l'avoir proposé au Président". S'interroge-t-il seulement une seconde sur ce qui lui fit alors penser que c'était une bonne chose? Pour l'homme du Quai d'Orsay, "l'important, c'est d'agir. [On] ne peut pas diriger la politique extérieure d'un pays uniquement en fonction des Droits de l'Homme. Diriger un pays éloigne évidemment d'un certain angélisme". Et, pris la main dans le sac, l'ex-ange des nineties privé de ses ailes a l'audace aujourd'hui de jouer les incompris, à l'égard de cette femme "qu'il aime et qu'il respecte", mais qu'il voyait dans un poste mieux à sa (her ou his, que dirait l'anglais?) mesure! Elle traite des Droits de l'Homme, et l'apôtre du devoir d'ingérence comprend "remaniement ministériel."

Ces déshonneurs, le jour même du soixantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

1. Pour mémoire, une de ses déclarations: "Le colonel Khadafi doit comprendre que notre pays n'est pas un paillasson sur lequel un dirigeant, terroriste ou non, peut venir s'essuyer les pieds du sang de ses forfaits." (un précédent 10 décembre — 2007 —, lors de l'annonce de la venue du colonel pour la journée internationale des Droits de l'Homme).

© Photographie: Rama Yade, 22 janvier 2008, agence Reuters.