Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


lundi 26 mai 2008

Naples: poubelles du Monde




Dans
Le Monde du 21 mai dernier, Jean-Jacques Bozonnet écrit, sous le titre: Le désespoir et la honte d'être napolitain: «La crise des déchets symbolise l'échec de la gauche, qui gouverne la capitale de la Campanie depuis 1993. Le 21 mai, le conseil des ministres s'y est réuni, entre manifestations et feux de poubelles. "Berlusconi, santo subito". Sur les murs de Naples, des affiches promettent en grosses lettres au Cavaliere une béatification immédiate "s'il élimine les immondices et les criminels". Cette initiative d'une association de consommateurs n'est pas une blague. Désormais, une bonne partie de la ville s'accroche à cette croyance que seul Silvio Berlusconi peut sauver Naples.»
Une amie napolitaine, à qui j'ai envoyé cet article, m'écrit ceci: Mi vergogno di essere napoletana in questa situazione assurda che dura da anni, vedo napoletani in genere molto cambiati: depressi, arrabbiati, intolleranti, più portati alla violenza anche verbale, degradati insomma ma non ancora completamente privati del loro senso dell'umorismo, grossolano, ma sempre efficace. Certamente non si può negare che la speranza, ultima a morire, si aggrappa anche, persino a Berlusconi. Ma " Berlusconi santo subito" era solo uno "sfottò", almeno io così lo leggo. Anche considerando altri manifesti affissi su tutti i muri che ritraevano il nostro pitre (1) con il corpo di un gallo trionfante su un bidone di spazzatura. "Il gallo sulla monnezza" è una espressione in dialetto per indicare una persona capace veramente di poco.
Traduisons: «J'ai honte d'être napolitaine dans cette situation absurde qui dure depuis des années, je vois les Napolitains en général très changés: déprimés, en colère, intolérants, plus portés à la violence verbale aussi, dégradés en somme, mais non encore complètement privés de leur sens de l'humour, mal dégrossi mais toujours efficace. On ne peut certes pas nier que, au besoin, l'espérance, ce qui meurt en dernier, s'agrippe aussi à Berlusconi. Mais "Berlusconi santo subito" était seulement un "foutage de gueule", au moins est-ce ainsi que je le lis. Ne serait-ce qu'au regard d'autres affiches collées sur tous les murs qui représentent notre "pitre" (1) dans le corps d'un coq triomphant sur un bac à ordures. "Le coq sur les immondices" est une expression de notre dialecte pour désigner une personne vraiment capable de peu.»
Ce n'est pas pas seulement de pauvreté ou d'archaïsmes qu'il s'agit. Et la jonction entre les mafias et le pouvoir politique local et central n'est pas une exception culturelle. Loin d'être prisonniers de leur passé et de leurs superstitions méridionales, nos frères italiens sont d'ores et déjà plongés dans les tragédies de notre commun avenir. Faut-il encore qu'ils supportent que, histoire de faire un papier couleur locale, d'ignorants éditorialistes s'autorisent à les présenter comme des naïfs et des imbéciles?

1. Ce terme, repris par notre lectrice de mon premier courrier, est malencontreux. En effet, Berlusconi n'est plus un pitre: sa réélection nous paraît une nouveauté, en ce sens qu'il est devenu l'instrument de la jonction entre l'empire des médias, le courant populiste, et, cette fois, les ligues politiques d'extrême-droite dont les puissances, déjà considérables dans le Nord comme dans le Sud selon leur nature, sont manifestement renforcées. "Pitre" ne va donc plus du tout, malheureusement, à ce nouvel acteur de la vie politique italienne.