Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


dimanche 28 octobre 2007

Pilate parmi nous



Dans une récente interview donnée à Euronews, Amos Oz avait cet avis: "Le combat entre Juifs et Arabes est un conflit entre deux anciennes victimes de l'Europe, ce qui donne à l'Europe une responsabilité spéciale pour aider les deux côtés et non pas pour moraliser, agiter le doigt comme ça, mais pour aider vraiment les deux parties.
"Je pense que les Européens ont une sorte d'inclinaison naturelle lorsqu'ils font face à un conflit international. Leur tradition, c'est de lancer une grande manifestation d'hostilité à l'égard du méchant et de signer une pétition enthousiaste en faveur du gentil et puis d'aller se coucher en ayant bonne conscience."

En un mois passé à Manhattan, j'ai eu l'occasion de rencontrer beaucoup d'Américains opposés farouchement à la politique irakienne du président Bush. À Manhattan au moins, c'est sans doute une opinion majoritaire, et peut-être même ailleurs dans le pays, si on en croit les sondages sur la question et si on est sensible à la montée réelle des manifestations. Mais pour autant, l'attitude de l'Europe et de la France en particulier ne semble pas, vue de là-bas, être perçue par les mêmes opposants et manifestants comme ayant été raisonnable et lucide avant tout le monde. Certes, Bush, disent-ils, a eu ce tort historique de vouloir y aller en se passant des alliés traditionnels, avant et surtout ensuite, ce que n'aurait sans doute pas fait Colin Powell. Mais il ne suffisait certainement pas aux Européens et singulièrement aux Français, posant aux chefs de file dans cette affaire, de se laver de toute responsabilité dans les développements de ce problème, sous prétexte qu'ils étaient contre dès l'origine. La bonne attitude eût été de faire valoir de façon constructive leurs conditions d'une présence aussi tôt que possible d'une façon ou d'une autre, et au moins après la chute de Saddam Hussein, pour éviter de laisser se développer ce dangereux tête-à-tête, car il a très vite été manifeste qu'il y avait un avant et un après. Et tandis que madame Alliot-Marie, ministre alors de la Défense, ne cessait de répéter que les Français ne retourneraient en Irak que lorsque tout serait résolu puisque, farouches opposants de l'intervention, ils étaient innocents de tous ces développements, un article du Monde du 19 mars 2004, quelques jours après les attentats de Madrid soit dit en passant et repéré à l'époque dans mon Bloc-Notes, soulignait le désespoir des Irakiens eux-mêmes devant cet abandon. Je redonne ici les lignes concernées:

Fakhri Karim, directeur du journal Al-Mada: "Si la direction américaine enchaîne erreur sur erreur en Irak, les Européens et les Français en particulier sont encore plus idiots car ils ne déterminent leur position qu'en fonction de Washington. Ils ne tiennent aucun compte de l'Irak et de ses habitants (...) Les Irakiens pensent que l'Europe et la France les ont doublement lâchés, d'abord face à Saddam, puis face à l'occupation américaine. La France n'est intéressée que par sa position antiaméricaine. Elle oublie les Irakiens. Chirac et Villepin doivent comprendre qu'aucun Irakien ne juge que leur position est courageuse. Qu'a fait la France pour aider l'Irak à se libérer du dictateur, puis pour aider l'Irak à retrouver sa souveraineté? Rien!" Un autre journaliste explique: "Nous, Irakiens, pensons que le refus de la France et de l'Allemagne de nous aider, et le départ annoncé de l'Espagne est une catastrophe. Pour que nous retrouvions nos esprits après les décennies terribles de Saddam, pour que nous sortions de ce tête-à-tête avec les Américains, nous avons aujourd'hui plus que jamais, besoin des autres pays."

Et il a fallu quatre ans et demi, se représente-t-on suffisamment cette éternité? pour qu'y aille, presque en catimini, en tous cas par surprise, un représentant officiel du gouvernement français, en la personne de Bernard Kouchner. Encore a-t-il été critiqué de toutes parts et s'est-on gaussé de son impuissance, tant cette visite était peu désirée, peu préparée par nos gouvernants.
La liste est longue des mêmes comportements dans bien des endroits du monde, dont la France en Europe revendique régulièrement haut et fort sa particulière responsabilité, et dont l'interview d'Amoz Oz résume la maxime. Lui-même souligne cette évidence dans le conflit du Moyen-Orient. Et bien que ma confiance politique soit pour le moins nulle dans l'actuel dirigeant de la Turquie, nous développons un même double discours dans la question de sa lutte récurrente, qui ne date tout de même pas de l'accession de Recep au pouvoir, contre le PKK, organisation peut-être marxiste-léniniste, mais dont beaucoup de rapports internationaux constatent sa forte activité en matière de trafic de drogue, d'êtres humains, et de racket des commerçants kurdes sur notre sol. Ces lâches soulagements, ces défaites sont encore présents à leur façon dans l'affaire des enfants du Darfour: "Enfants de la guerre ou guerre des enfants", (cf. ci-dessous au 30 octobre 2007), ou plus directement dans la situation de Ayaan Hirsi Ali et les analyses qu'elle vient d'en tirer, disponibles sur ce site.