Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


lundi 29 octobre 2007

Fausses fenêtres




D'après une synthèse publiée dans
Le Monde du 28 octobre 2007, un rapport de l'ONU dit "GEO 4", publié le 25 octobre dernier, envisage quatre scénarios sur l'avenir écologique de la planète:


— l'État s'efface au profit du privé, le commerce se développe sans limite, les biens naturels sont privatisés. Cette voie assure la croissance la plus forte mais se traduit aussi par un impact environnemental jugé insupportable, engendre les plus grandes inégalités et nous rapproche du "point de basculement", c'est-à-dire en clair de la catastrophe.

— Une intervention centralisée vise à équilibrer une forte croissance économique par un effort pour en limiter les impacts environnementaux et sociaux, au prix du développement bureaucratique.

— La sécurité face aux désordres civils et aux menaces extérieures prime sur toute autre priorité.

— Organiser la durabilité par l'environnement et l'équité, dans laquelle les citoyens jouent un rôle actif. C'est ce qui apparaît évidemment préférable du point de vue social et écologique mais exige de consacrer beaucoup de temps à la coopération entre acteurs.

Et le rapport prévient que, dans tous les cas, "le changement climatique et la perte de biodiversité resteront des défis significatifs".

Je ne sais si la synthèse de presse reflète fidèlement le rapport (téléchargeable à présent sur ce site), voilà qui paraît clair, ordonné, argumenté. Essayons de mieux comprendre pourtant:

1. L'hypothèse sécuritaire est hors sujet puisqu'elle exclut toute politique écologique. Pourtant désordres civils et menaces internationales sont bien réels et personne ne voit comment ils pourraient cesser dans un avenir prévisible. En un mot donc, trois scénarios imaginaires sont envisageables une fois qu'on s'est affranchi de toute réalité. Et d'un.

2. La privatisation du monde est en fait liée à l'exclu précédent, puisqu'un monde privatisé privatisera tout sauf la lutte politique et militaire contre les périls et les menaces internationales, du ressort des États et parfois de l'ONU. Ils leur fourniront cependant armements et milices. Il est donc également hors sujet. Et de deux.

3. Nous rêvons tous du dernier scénario, durabilité, environnement et équité. Mais il est si angélique, si redoutablement abstrait qu'il deviendrait criminel de s'en servir de façon purement incantatoire et hypnotique pour laisser en fait les coudées franches au tandem précédent. Et de trois?

4. Il ne reste donc qu'un avenir dans les faits, c'est celui de l'inévitable et difficile pas de deux entre économie de marché et réglementations diverses. Là est la rose et là il faut danser. Ce qui existe déjà, se fait un peu, germe un peu partout, y compris dans les plans onusiens du PNUE. Le seul avenir envisageable serait d'ailleurs un peu plus précis et, en attendant de disposer du rapport complet, curieusement, la synthèse du Monde n'en dit mot: cette voie médiane ne peut exister que dans le cadre d'un marché du réchauffement climatique. Autrement dit, notre seule chance, si l'on peut dire, réside dans le développement de recherches scientifiques, de technologies innovantes, et surtout à très court terme d'industries du climat qui dépasseront les faux gadgets genre éoliennes. Comme nous sommes fort mal partis pour que ces industries soient publiques, elles ne se développeront que si, à leur tour, elles se transforment en sources de profits. Ce serait somme toute un avenir encore assez rose si l'industrie proprement financière laissait un peu de temps à ces processus. Ce qui est loin de tomber sous le sens.

Nos angoisses viennent du fait que nous savons que cette voie étroite résistera mal aux urgences, elles-mêmes mal divulguées: l'emballement climatique assuré, qui fait soi-disant débat, alors qu'un enfant de dix ans sait que, à 0°, la glace fond brusquement, par exemple. Urgences qui se transformeront rapidement en inégalités planétaires et donc en tentations sécuritaires. Sauf à organiser la dictature économique et politique qui, partout où elle s'est installée, a montré ses capacités en matière de pourrissement de l'air, des terres, des eaux et des esprits.

© Place Saint-Marc à Venise, 2 décembre 2008. Agence Reuters, Joerg Mitter.