Mal nommer
un objet, c'est ajouter

au malheur de ce monde.

Albert Camus.


vendredi 13 avril 2007

Henri Harismendy: "Femmes d'Éveline Lavenu"




La femme d'Éveline Lavenu n'est pas vraiment la femme-femme ou la femme féminine. Difformités ou visages aux traits fuyants. Mais elle s'avance ou s'étire, dans un mouvement obstiné de présence, de reconnaissance, anti-modèle qui ne renoncerait pas à livrer ses secrets.
Femme archaïque de la gestation qui ramène toute l'humanité à la rondeur de ses flancs; suspendue dans l'attente du plaisir marquée par la mutilation du corps ou la couverture du vêtement, voire la fermeture du geste; prise entre la grossièreté d'un corps et les perfections de la gestuelle érotique. Femmes sans visages comme si seule la silhouette intégrale du corps pouvait traduire l'intégralité de l'identité.
Femmes peut-être callipyges, obèses ou aux mollets trop épais? La féminité ne tient ni à la perfection du pied, ni au galbe des hanches, ni même au rayonnement des traits du visage. Elle doit se laisser découvrir par-delà les codes sociaux trop convenus, mais aussi par-delà le concept qui prétendrait circonscrire son essence. Aux images et aux idées réductrices de la femme, Éveline Lavenu substitue des postures de femmes qui ne se donnent pas à voir comme telles, si tant est qu'une posture n'expose jamais qu'un artifice. Elle ne cherche manifestement pas non plus à reproduire des archétypes, ou elle ne les retrouve que pour les déplacer. La pâte de ses esquisses et de ses glacis allie autant des couleurs chaudes, bleu irénique et vert prometteur et celles, plus sombres, du noir tragique, du marron clair mélancolique, ou du rouge toujours flamboyant. Mais la palette de cette féminité déclinée au pluriel n'est chez elle que l'instrument d'une tension manifeste entre perfection et imperfection, dont semblent animées ces femmes finalement mystérieuses.
Le paradoxe de son univers est celui d'une féminité insaisissable aux seuls contours d'un corps, dont elle casse à souhait toute attente de perfection, mais qui n'est explorable qu'à partir des limites incertaines de ce corps. Là sont la force et le charme de ses tableaux, à mes yeux: la féminité reste à inventer, au sens où sa rencontre ne peut être qu'une découverte exigeante. Sans concession, le peintre récuse ici tout compromis avec les canons de la beauté et de la laideur. Mais à l'inverse d'un Fernando Botero qu'on peut soupçonner de se complaire dans la difformité, Éveline Lavenu parvient à traduire quelque chose de la grâce du féminin qui transcende ces notions communes ou leur opposition passablement dualiste. Elle les renvoie dos à dos. Notre regard est alors projeté vers une intériorité, lisible sur le grain d'une chair ou les contours de formes qu'on serait tenté de décréter trop vite imparfaites ici ou là. À l'heure des clichés surfaits, il fallait que la sensibilité unique et le talent d'une femme nous invitent à oser un nouveau regard sur le féminin.

© Gouache d'
Éveline Lavenu.